Les Rendez-vous de Philopop : La Mémoire

28 mars 2021 à 16h10 - 2928 vues
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Notre réflexion s'appuiera sur la lecture du dernier ouvrage de Paul Ricoeur, La Mémoire, l'histoire, l'oubli (Editions du Seuil, 2000).

Si la mémoire est, comme on la représente souvent, un magasin localisé dans le cerveau où sont inscrites les traces des impressions laissées en nous par les événements passés, comment ces traces peuvent-elles les représenter alors qu'ils ne sont plus ? Présenter des traces cérébrales comme des traces « mnésiques », ce n'est pas résoudre cette énigme, c'est la supposer déjà résolue. Une réflexion philosophique sur la mémoire doit au contraire s'y confronter.

1- La double énigme de la mémoire

a/ L'énigme de la représentation présente d'une chose absente
La métaphore de l'empreinte d'un sceau dans un bloc de cire, utilisée par Platon dans le Théétète, présuppose que le souvenir est comme l'image d'une chose qui a été gravée dans l'âme et laisse ainsi son empreinte

b/ L'énigme du rapport de l'image du souvenir à une expérience antérieure
« Chaque fois que l'on fait acte de mémoire parce qu'on a déjà vu, entendu ou appris telle chose, on perçoit que cela s'est produit antérieurement », Aristote dans De la mémoire et de la réminiscence, « Le souvenir est quelque chose qui tranche sur le présent, c'est ainsi que nous le reconnaissons comme souvenir », Bergson dans Matière et mémoire.

c/ L'examen de cette double énigme permet de distinguer deux types de défaillance de la mémoire : 1-elle prétend connaître le passé, or sa représentation peut être infidèle ; 2- elle prétend le retrouver, or l'impression qui en a été laissée peut s'effacer, et l'effort de remémoration peut échouer à l'atteindre

2- L'oubli est-il l'ennemi de la mémoire ?

a/ La mémoire comme lutte contre l'oubli, voir la préface d'Hérodote à ses Enquêtes
b/ Une mémoire parfaite serait un mémoire morte (voir la fiction de Borgès, Funès ou la mémoire) ; l'oubli est la condition de sa vitalité (on ne devrait pas parler d'une « mémoire » de l'ordinateur)
c/ Ses défaillances ne peuvent entamer notre confiance : elle est notre seul mode d'accès au passé (l'histoire ne peut s'en passer : elle présuppose le témoignage)
d/ Le « petit miracle de la reconnaissance » (Ricoeur) permet de donner une solution pratique à l'énigme que constitue la représentation présente d'une chose antérieure et absente : elle permet de présupposer rétrospectivement que l'image du passé (le souvenir) n'a pas disparu mais a survécu pour pouvoir être maintenant reconnue
e/ Cette analyse permet d'opposer deux figures de l'oubli : soit un oubli destructeur qui s'explique par l'effacement des traces, soit un oubli qui n'est qu'un empêchement provisoire et laisse espérer un recouvrement du passé

3- La survivance du souvenir : examen de la notion de « trace »

a/ Trace psychique (=le souvenir comme impression vécue) et trace cérébrale (voir les neurosciences)
b/ Le caractère problématique de la notion de « trace mnésique » : une trace matérielle peut-elle signifier un passé ?
c- La trace psychique (le souvenir) a par elle même le pouvoir de survivre (voir Matière et mémoire de Bergson) : la mémoire est ainsi le passé qui se conserve tout entier en moi ; elle n'est pas une faculté de conservation qu'il faudrait localiser dans le cerveau.
d- Dans cette perspective, l'oubli désigne le caractère inaperçu (inconscient) de la persévérance du souvenir, il met le passé en réserve (c'est un « oubli de réserve » , Ricoeur). Il faut distinguer deux formes de pathologie : la mémoire détruite (la maladie d'Alzheimer), et la mémoire blessée (l'exemple de l'hystérie, voir la 1ère leçon sur la psychanalyse de Freud)

Lectures conseillées :

La mémoire, l'histoire, l'oubli de Paul Ricoeur, Editions du Seuil 2000
Psychopathologie de la vie quotidienne et 1ère leçon sur la psychanalyse de Freud
Matière et mémoire de Bergson, chapitres 2 et 3
Funès ou la mémoire de Borgès

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